L’Andalousie est une région des plus fascinantes, et la période arabo-andalouse constitue l’Age d’Or de la civilisation musulmane, dont la péninsule ibérique fut le foyer culturel (VIIIe au XVe). Aujourd’hui, elle demeure un symbole de raffinement, de rayonnement culturel, et d’essor scientifique.
La musique andalouse est une des plus vivaces représentations de cet art de vivre, qui est intrinsèquement liée au corpus poétique des muwashahat, considéré comme le précurseur du Fine Amor, et de ses chantres : les célèbres troubadours du Moyen-Âge occidental.
Origine et étymologie
Le vocable muwashahat du singulier : muwashah désigne un poème à rimes libres. Il tire son origine de washaha, (verbe), qui veut dire embellir ou orner, et de wishah (substantif), lequel est un mot arabe, désigne une ceinture ou une étole perlée et ornée de pierres, que portaient autrefois les femmes andalouses sur l’épaule, la tête ou encore nouée autour de la taille. Cette allégorie est significative; elle souligne le caractère novateur du muwashah en matière de prose poétique en opposition, à la qasida, laquelle est une forme poétique monorimique de l’Arabie préislamique.
Amina Alaoui, interprète et chercheuse versée dans cet art, nous propose la définition suivante « En poésie, la relation entre son refrain et les mutations de rimes suggère l’ornement de cette parure. On dit que le Muwashah en arabe littéraire, naît à Cordoue à la fin du Xe siècle, et fut inventé par un poète de Cabra : Muqaddam Ibn Mu’afa. »
l’Amour courtois, le vin, et les jardins… Thème de prédilection du muwashshah
Il est à noter que l’histoire littéraire de l’Andalousie médiévale, évolue dans un vaste champ de désinformations et de controverses. En effet, l’absence de datations et d’écrits concis font évoluer la recherche dans un espace didactique basé sur des hypothèses qui se chevauchent parfois, et divergent souvent. Le monde musulman étant hétéroclite, il évolue sous le signe des rixes et antagonismes entre les différentes écoles de pensées.
Ainsi, les premiers poèmes des muwashahat dateraient du Xe siècle, mais l’origine andalouse de ces corpus fut contestée par certains spécialistes comme Ibn Khaldoun, avançant la thèse d’une origine machreki (Proche Orient).
Les thèmes abordés gravitent autour de l’imaginaire lyrique andalou, et sont véhiculés à travers l’amour courtois, le vin, et les jardins : lieux de ravissement et d’allégresse par excellence. L’idylle d’Ibn Zeydoun et la princesse omeyyade ,Walada Bint El Mustakfi (XI siècle) constitue une des sources des plus célèbres en ce sens. De plus, et selon S. Benbabaali et B. Rahal, co-auteur d’un ouvrage sur la représentation florale dans la poésie andalouse, la corrélation entre «L’ivresse humaine et celle de la nature » renvoie une esthétique et une représentation ésotérique de la beauté . Par ailleurs, le poème « Ayuha as-Saqi », « Ö toi, échanson » du poète et érudit, Zohr El Andaloussi, (1113-1199) est une éloquente expression de cette philosophie.
Influences et diffusions
Enrichi au fil du temps, évoluant dans une mouvance multiculturelle, l’écriture du muwhashah et sa mise en musique est marquée par un métissage linguistique et mélodieux à l’image de l’Andalousie médiévale; une mosaïque où cohabitent berbères, arabes, persans, juifs séfarades, coptes et espagnoles… Mais c’est sans conteste le musicien et théoricien Ziryab, contemporain de Haroun el Rachid (IX siècle) qui opéra une rupture épistémologique et une impulsion nouvelle avec la codification modale du muwashah, en introduisant les noubas : des suites de pièces musicales. D’origine irakienne, il devint dès son arrivée à Cordoue, un des favoris à la cour des califes omeyyades.
La diffusion de cette musique au Maghreb et au Mashrek se fait avant la chute de l’Andalousie musulmane, mais c’est à partir de 1492 avec le départ massif de la diaspora morisque vers les pays d’Afrique du Nord, que ces derniers deviennent un foyer d’accueil. On assiste dès lors à l’émergence de nouvelles formes d’expressions.
De nos jours, les poèmes parvenus à la postérité tel que Lama bada, Jadak el gheît et Ayuha el saqi constituent un héritage commun aux Chrétiens espagnols, Séfarades d’Israël et Maghrébins qui œuvrent à perpétuer cette musique à travers différents courants et écoles.
Leila Assas
*Mes remerciements vont à Ramy Maalouf, musicien et musicologue, et Fawzi Cherkit, ancien choriste à l’Orchestre National d’Algérie dont les indications et pistes de réflexions constituent le socle de cet article.
Bibligraphie :