Les célébrations données en l’honneur de Lalla Mansourah sont les plus emblématiques des ksours de Ouargla. Les réjouissances qui se déroulent sous le signe de la frénésie, et la joie qui les entourent, suscitent encore de nos jours, engouement et moult fables. On ne sait que peu sur le vécu de cette femme; sa fin, auréolée de mystère, marqua le début de sa légende.
La légende de Lalla Mansourah
Sa sainteté et canonisation tint de sa tragique et surnaturelle disparition le jour de ses noces. On raconte que la belle Mansourah fut promise à un des riches propriétaires de la tribu d’Ath Sissine, une des plus grandes tribus sédentaires de la région d’ Ouargla . Le jour de sa noce, conduite à la couche nuptiale, elle se déroba à son mari et disparaît de la manière la plus étrange qu’il soit. On raconte aussi qu’elle fut châtiée, et que la terre l’avala par ce qu’elle fut infidèle à son futur époux d’où sa disparition subite. Subjugués par ces faits des plus curieux, les Ouargli l’appela Lalla car la « téléportation » telle que nous l’entendons au sens mystique maghrébin ( Tay el ard ) relève des forces occultes, dont sont seuls capables les marabouts : des agents religieux rattachés aux ordres confrériques, dotés, comme le veut la tradition orale de pouvoirs surnaturels.
Fait divers ou légende extraordinaire, l’histoire de Lalla Mansourah traversa les âges jusqu’à faire l’objet d’une célébration annuelle. Sans doute, par superstition et durant la saison des mariages, usuellement au printemps, on promène un lit nuptial à travers les ruelles du ksar. Les femmes préparent du bkhour qu’on fait brûler durant la déambulation. La procession fait sonner «Ghaita» et «teboul». La musique bat en plein jusqu’à la porte de «Bab Amar», là, où le cortège devait conduire la mariée disparue. Sa couche : un lit à baldaquin, est fait comme le veut la coutume, de « jrid » : branches et feuilles de palmiers tressées.
Vie ksourienne et mœurs des tribus d’antan
La commémoration de Lalla Mansourah obéit à un calendrier lunaire qu’on fait coïncider avec des fêtes religieuses musulmanes si elles tombent à la même période. Ainsi, cette fête peut être célébrée le jour de l’Aid El Fitr, ou El Kebir. Seule constance qui subsiste, demeure les équinoxes du printemps. En effet, la notion de la célébration retour du printemps, appelée « Rebiaâ Elmenouar », nous renvoie vers un substrat païen d’origine agraire qui se trouve mêlé au fait religieux monothéiste. En ce sens, la vie ksourienne et mœurs des tribus d’Ouargla ne divergent pas de leurs voisins. Les atavismes lybico-berbère antéislamiques véhiculés par la tradition orale sont souvent déguisés et enchevêtrés avec le fait religieux. Cela peut tenir de l’instinct de pérennisation d’un culte ancien. A ce propos, L. GOGNALONS rend compte de l’analyse suivante : «[ …] ce souvenir lointain du culte de la Nature gardé par les descendants, dit-on, de la race berbère primitive » et poursuit plus loin « la re-élaboration des rites n’a pu s’effectuer qu’en opérant le choix de sacrifier soit sur leur signification, soit sur le moment de leur exécution. A l’examen de ce qui a été dit, il semblerait que les populations du Nord de l’Afrique ont préféré conserver l’intentionnalité. Une telle volonté de conservation répond sans doute au besoin fondamental d’avoir prise sur le temps dont l’expérience prouve la fuite irréversible. »
Très rattachée à la terre et aux rythmes des saisons, comme le souligne le botaniste Ibn Baytar( XIIIe siècle), Ouargla rivalisait avec ses sœurs prospères de Sijilmassa à Ghadames dont elle partageait des traits analogues, à l’instar de plusieurs tribus amazigh marquées par le culte de la nature qu’on célèbre encore de nos jours .
Leila Assas
Bibliographie :
- Blanchet Paul. L’oasis et le pays de Ouargla. In: Annales de Géographie, t. 9, n°44, 1900. pp. 141-158. Persée
- Hacini Djamel, La Takouka Folklore Ouargli © Copyright (touggourt.org)
- GOGNALONS. REVUE AFRICAINE CINQUANTE- TROISIÈME ANNÉE
N° 272-273 — 1° ET 2e TRIMESTRES 1909 - René TOURTE HISTOIRE DE LA RECHERCHE AGRICOLE EN AFRIQUE TROPICALE FRANCOPHONE, FAO © 2005
- Illustration à la Une : Bachir Yellès
- Images © Revue africaine
Initialement publié sur Babzman