« Il était une fois trois dames qui demeuraient à Alger, dans la Kasbah. Et ces trois dames s’appelaient Kadidja, Fatmah et Fizah. » Les trois dames de la Kasbah, Commence de la sorte, un conte, un récit de voyage dans la pure tradition colonialiste de la fin du XIX, coincé entre le récit ethnographique et la fantasmagorie orientale.
La nouvelle réédition de 2001 est illustrée par une série de photos d’hommes et de femmes algériens du début du siècle dernier, puisées dans le fond photographique du collectionneur Mohamed Sadek Messikh qui signe également la préface : « [ ] Alger offrait encore l’image d’un Orient » Dixit –il. La redondante assimilation d’Alger et sa Kasbah cosmopolite à l’Orient semble perdurer, résultante d’un ancrage idéologique colonialiste.
Des odalisques et des tribulations
Ecrit en 1882 par Pierre Loti, sous le titre original « Fleurs d’ennui » et sous-titré « Conte oriental ». L’auteur met en scène trois dames lascives, au cœur d’une tumultueuse affaire de mœurs qui les lient à des matelots basques et bretons. Le conte semble être inspiré par trois femmes que l’auteur rencontre. La plume y est fluide mais sans grande ambition stylistique. Le réel s’enchevêtre au fictif et l’intrigue n’est pas au rendez vous.
Un soir d’été, Kadidja, mère veuve et ses deux filles Fatmah et Fizah s’adonnent à la prostitution, et convient des matelots à partager leurs couches. Les trois dames apparaissent irréelles « Dans cette pénombre bleue, elles semblaient des êtres chimériques, des prêtresses accroupies dans un temple, des courtisanes sacrées dans le sanctuaire de Baal ». C’est ainsi que le corpus se poursuit, ponctué de longs passages descriptifs de l’apparat, des lieux, des sons et des parfums mais également de la population cosmopolite de la Casbah, habitée par des maltais, juifs, maures et arabes. Apres une nuit d’errance et de volupté, ponctuée de rythmes saccadés, les six matelots quittent les prostituées porteuses d’une maladie incurable, « contagion arabe » selon l’auteur.
Christine Peltre dresse un parallélisme entre Les Mille et Une Nuits et les Trois Dames de la Kasbah, pour souligner l’aspect pittoresque que suscite ce récit et ajoute en ce sens, que l’œuvre de Loti se juxtapose aisément à l’imaginaire véhiculé par d’Eugène Delacroix à travers la figure de l’odalisque qui se languit.
L’auteur et son époque
L’auteur pérégrine au nom d’un idéal colonial. Il séjourne en Turquie, à Tahiti, au Japon, et en Algérie. Poussé par une curiosité ethnographique, il livre ses observations et impressions, mais quelle valeur scientifique peut-on accorder à ces carnets de voyages ? Peut-on formuler avec exactitudes des hypothèses généralistes ?
A ce propos, Alain Quella- Villéger, dans une interview accordée à Leila Sebba répond en ces termes « Il ne décrit pas comme un ethnologue, il ne donne pas ou peu de noms de lieux […] Les trois dames de la Kasbah m’a paru assez conventionnel, dans une imagerie exotique propre l’époque. » Cela souligne ,ainsi « l’orientalisme de pacotille » de Loti, tout en évoquant l’anticolonialiste et l’humaniste qu’il était .
Considérer à titre posthume et faire perdurer l’idée qu’un officier gradé d’un empire colonial puisse être humaniste nous renvoie à une lecture, axée sur la légitimité présumée du discours colonial, sa mission civilisatrice et la supériorité occidentale.
Un siècle après l’expédition de Bonaparte en Égypte (1798), qui a donné naissance à ce « climat » du mouvement orientaliste; Pierre Loti, l'écrivain, académicien, voyageur est avant tout un officier de Marine, demeure, à l’image des auteurs orientalistes de l’époque tels que Théodore Chassériau, Léon Belly et Eugène Fromentin, ancré dans une imagerie « exotique » façonnée de préjugés jusqu’à confondre des termes tels que mauresque, arabe et oriental. L’air géographique de l’orientalisme souvent confondue à l’extension de l’empire Ottoman alimente la confusion des spécificités entre les peuples, voire leurs négations.
Repris dans un contexte contemporain la qualification de « l’humaniste » que fut Pierre Loti gène. «exotisme » et « orientalisme » sont autant de termes dépassés, que des vecteurs d’une vision du monde de l’occident par les occidentaux ou le « reste », l’ailleurs devient un monde à part. Un monde à conquérir. Un monde à apprivoiser. Un monde à civiliser.
Leila Assas
Bibliographie :