Terzou, signifie littéralement « Elle a vu » en berbère taznatit. Le mot fait également référence à l’œil, et tire son origine du vocable« izri » qui signifie la vue, ou encore en botanique chez les berbères marocains, la fleur d’iris. Tezrou représente enfin, et de façon plus imagée, l’une des manifestations populaires les plus irréelles de l’Oasis de Rouge.
Origines et controverses :
Tezrou, représentait jadis la manifestation de la célébration d’une légende locale. L’on raconte qu’une jeune mariée, belle comme le jour, et aux charmes indescriptibles, aurait été témoin de quelque chose de terrible (tezrou : elle a vu), et fut dès lors, possédée par un esprit malin. Elle ne sorti plus que le soir à l’heure du couchant et errait dans les ruelles de Timimoun, en poussant des cris stridents d’effrois et de détresse. Solidaires et attristés par son malheur, ses congénères tentent de la délivrer en pratiquant des rituels animistes. Il n’existe aucune précision ou notification sur l’authenticité du fait historique ou sur l’identité de la jeune femme en question.
Légende, Affabulation mystique, ou fait avéré, l’histoire de la jeune mariée en détresse, donne lieu à une commémoration haute en couleur, durant laquelle deux groupes de Timimoun arrivent des deux extrémités de la ville; le premier du mausolée de Sidi Othman (un des saints patrons de la ville du VI siècle de l’hégire), et le second du mausolée de son fils Sidi Ahmed Ou Othman ( Fils de Othaman).Les deux groupes forment une rencontre convergente vers un point central, et célèbrent des rites et des scènes de représentations qui évoquent la tragédie de la mariée .
Sanctifié jusqu’à la première moitié des années soixante, Tezrou est évoqué par les doyens de l’oasis comme étant un carnaval gai ponctué de musique, de danse et de gesticulations démesurées. La population locale dotée d’instruments de percussions mais également de boites de conserves, de cuillères... contribue au vacarme, danse et chante. Tezrou se manifeste à divers niveaux et touche différentes couches de la société et cela à différentes échelles principalement sociale et économique.
Cette manifestation bien qu’elle ne soit pas à caractère religieux, et se situe même à son antipode de par ses représentations animistes, coïncidait et s’enchevêtrait avec Achoura, une fête religieuse d’origine hébraïque, pratiquée par les ascètes juifs et fêtée également par les musulmans, sunnites et chiites le dix muharram du calendrier lunaire. A l’instar des sunnites, les habitants de la région du Gourara jeûnent le huitième et neuvième de ce mois, la rupture du jeûne est marqué par el selka c’est-à-dire : la récitation des soixante hizbs du Coran suivie de chants et louanges au prophète Mohamed dont el burda est l’un des plus célèbre et au dixième jour, on pratique Tezrou.
Le carnaval Tezrou, de la légende à la réalité
Tezrou, une manifestation qui contribue à l’éducation sociale et à l’essor économique.L’adage local dit : « l’homme seul ne peut enrichir ses pairs, or, les pairs peuvent enrichir un seul homme »; le carnaval de Tezrou provoquait un engouement certain, en témoigne la forte demande pour les instruments de musique et de percussion, ce qui constitue une véritable aubaine pour les artisans et fabricants d’instruments. Les stars du festival sont sans conteste, l’Aguelal, un tambourin en peau de bête et à son grave, et son homologue le tabgual : tambourin à son aiguë. Les artisans se trouvent ainsi parés et leurs revenus assurés pour l’année, en attendant le carnaval prochain.
Les rixes et querelles vécues pendant l’année précédent l’événement, sont exposées et mises en scène durant le festival. J’avais précisé dans la première partie, que le nom du carnaval, Tezrou, dont le mot signifiait « elle a vu » était lié à une histoire légendaire symbolisant le « témoin qui s’est tu »; les mises en scènes du festival font donc vivre le message véhiculé par la légende, et donnent prétexte à une agitation organisée, servant à extérioriser les non-dits.
Ainsi, au cours du festival, un cortège à la tête duquel se placent les hommes âgés, est mis en place pour veiller, drainer et contenir la foule, viennent ensuite les jeunes garçons, et en derniers les femmes et les enfants. Pamphlétaires et satiriques, les slogans acclamés par la foule, font presque office de plaidoirie. « Les acteurs » sont aux grès des représentations, alternativement victime et bourreau… Puis, à la fin de la journée les esprits s’apaisent et la vie suit son cours, lente et nonchalante.
La fin d’un mythe
La juxtaposition du sacré et du profane, est une pratique courante dans l’espace oasien, elle témoigne d’un islam de tolérance et de l’élan soufi qui ne nie pas les composantes éparses de la mémoire collective. Cependant, il est vrai que les pratiques animistes, sont assimilées à des habitudes païennes, et de ce fait, se heurtent à la critique acerbe des agents religieux les plus orthodoxes.
M. Akacem Bachir ancien instituteur, ex directeur de l'OANT-Timimoun ( Office Algerien National du Tourisme), actuellement guide au Gourara ; était âgé 14 ans en 1962, et se souvient avec nostalgie de ce carnaval magique, dont le maintien dans une Algérie post-coloniale était devenu difficile, et sujet à controverses.
Ça serait probablement M. Temam Djelloul , mouhafed du FLN de Timimoun dans les années soixante, qui mit fin officiellement à ce qui fut le carnaval le plus trivial deTimimoun.
Leila Assas
Mes remerciements vont à M.Bachir Akacem pour son témoignage et la pertinence de son analyse.
Image : Philippe Freund© 2017