« L’expérience fait voir aussi que toujours un fou se moque de l’autre, et que tous les deux se divertissent réciproquement : souvent même, c’est le plus fou qui rit de meilleur cœur du moins fou ». Erasme
La figure du fou : el mehboul/ hbilou, ou encore celle de l’idiot du village, est intrinsèquement liée à l’environnement et, à la conceptualisation des figures sociales, et souvent à la place accordée aux contes et légendes locales, parmi lesquels citons les histoires mythiques de Djhoha mi-fou mi- sage, et dont les récits divertissent et enseignent .
Je vais vous conter ce soir l’histoire d’Ouda, de son vrai nom Massouda, une marginale vivant dans un lieu, où le despotisme du nombre sévit la plaçant sans équivoque aux antipodes de la norme. La première fois que je la rencontre, elle apparaît à moi au comble du risible, telle une figure mystique d’un conte pour enfant.
Pourquoi est –elle ainsi? Comment en est-elle arrivée là?
Elle se balade nuit et jour, va et vient à sa guise, ne se gêne pas pour ôter son voile pour rire, crier, vociférer. Le quotidien d’Ouda, est ponctué de longues siestes et de magnifiques mélopées.
Ce matin, elle affichait une mine boudeuse, j’essaye de l’aborder, elle reste de marbre, très versatile et capricieuse à un point déroutant et voilà qu’elle pouffe de rire et se met à me raconter une anecdote.
Ouda attire la sympathie de gens du Ksar, rarement les moqueries, jamais les outrages, « elle est rigolote », m’affirme l’un , et l’autre ajoute « j’ai grandi, fondé une famille, et Ouda reste un être immuable » une légende du quartier.
Il est assez fréquent de la voir « traîner » non loin de l’école primaire, « l’unique institution » du ksar, surtout à l’heure de déjeuner, au moment de servir les repas, les employés qui assurent le service à la cantine l’incluent systématiquement. Ainsi notre école compte 78 élèves et une Ouda ! Ne dit-on pas que le charme des enfants provient de la folie « qui leur épargne la raison, et même coup le soucis? ».
Sa dernière frasque excentrique, est une tentative d’évasion spectaculaire, digne des grands « Evadés ». Elle aurait creusé un passage, à l’aide d’une cuillère, une tâche assez réalisable puisque qu’elle habite une maison en terre et d'argile. Évidement, nous avions tous trouvé cette naïve entreprise amusante, à l’exception de son pauvre mari.
Ouda est plus que tolérée dans le ksar, elle est adorée, et demeure cette légende vivante, véhiculée expressément par les adultes pour faire peur aux vilains enfants. Il existe ainsi un consensus tacite entre elle est autrui, un consensus entre le nous, et elle, et qui pourrait se réaliser dans un autre contexte sociale… De tous les êtres qu’il m’ait été donné de croiser, Ouda me semble, de loin, la plus libre …
Leila Assas
Bibliographie :