Les diktats de beauté varient et évoluent au fil du temps, mais aussi des régions et des cultures. Aujourd’hui, nous vivons une ère de mondialisation qui nous impose le rachitisme comme suprême symbole d’un idéal du beau, et de maîtrise de soi, cependant, il existe encore de nos jours des sociétés qui célèbrent « l’opulence » des formes, tel que nous pouvons l’observer au pays du Soleil Levant, où les lutteurs nippons de sumo sont adulés à la Cour Impériale et élevés au rang de dieux.
L’opulence des formes en Afrique : une mode immortelle
A Niamey au Niger, l’on célèbre le « mani- fori » qui se traduit par la « fête des grosses ». Cet engouement pour les corps bien en chair est tel, que lorsque l’embonpoint n’est pas naturel, les femmes ont recours à la pratique du gavage, appelé : « hangandi » en dialecte zarma de l‘Afrique de l’ouest. Les femmes désireuses de se « remplumer », s’y adonnent généralement avant les jours de fêtes. Ainsi, la femme qui réussit à ingurgiter la plus grande quantité d’aliment tel que le mil, sera respectée par l’ensemble du village.
En plus d’être une tradition ancestrale, «Le hangandi », entretenue par la tribu songhay- zarma, célèbre et véhicule «un esprit de sociabilité et de solidarité».
L’opulence physique est prisée dans la majeure partie de l’Afrique actuelle. Elle prend, chez les tribus sahélo-sahariennes un double sens, qui tend à la fois vers l’embonpoint physique, ainsi que vers l’abondance matérielle considérée comme l’apanage des castes nobles et aisées.
De fait, la pratique du gavage y est très répandue, et plus particulièrement chez les Kel Tamasheq du nord du Mali et du Niger ; ainsi que chez les maures zénaga et la tribu des Reguibets,(berbères arabisés) dont les territoires s’étendent jusqu’à Gao au Mali, et au Sahara Occidentale jusqu’à l’extrême sud-ouest de l’ Algérie, plus précisément à Tindouf.
Lors de ses nombreuses pérégrinations, le célèbre géographe amazigh Ibn Battuta nous livrait déjà au XIVe siècle ses témoignages sur les Kel Bardama (touaregs du nord du Mali), le récit suivant : « les femmes des Bardâma sont les plus parfaites en beauté, les plus extraordinaires dans leur extérieur, d’une blancheur sans mélange et d’une forte corpulence. Je n’ai vu dans aucun pays de femmes aussi grasses ».
L’opulence féminine demeure un symbole de générosité, de procréation et de richesse dans l’imaginaire populaire de plusieurs sociétés. Pour atteindre cet idéal esthétique, une constance diététique est imposée, et le gavage devint une condition sine qua none pour y parvenir, ce dernier obéit à des normes précises et une rigueur draconienne.
La pratique du gavage chez les tribus sahélo-sahariennes fut observée depuis des siècles par les explorateurs.Au XIe siècle, l’historien et géographe andalous Al Bakri établit une liste des critères des femmes, les plus appréciées de Awdaghost, une ville berbère du sud-est de la Mauritanie (région de Hodh El Gharbi), et cite ainsi : « les jeunes filles au teint clair, aux épaules larges, à la croupe abondante, au sexe étroit… ». Les kel tamasheq également concernés par cette représentation de la beauté, privilégient aussi l’embonpoint des femmes.
L’opulence, du canon de beauté à l’indice de richesse.
Le gavage est une pratique codifiée qui concerne les filles prépubères, cet engraissement est alors devenu un des diktats de la beauté, mais également et surtout, un mode de préparation des jeunes filles, à un mariage prospère. La future épousée devient par ce processus une dot en soi, car du foyer paternel au foyer marital, elle incarnera et véhiculera à travers ce surplus de poids les privilèges des riches oisives, c’est-à-dire : l’abondance du cheptel de chamelles laitières, et la multitudes des servantes, qui témoigneront de la fortune et de l’opulence de sa tribu. « C’est probablement là, une question de vanité plus que d’esthétique »!
Le gavage est appelé « adaney » qui signifie : entonner, remplir, chez les kel tamasheq; ou encore « ġabb » en hassaniya (dialecte arabe des maures et réguibets de Mauritanie, du Saraha Occidentale et de l’extrême sud-ouest de l’Algérie). Dans cette même région, l’allure de la femme grasse, dite « Tmayih, » (toujours en hassaniya), est caractérisée par une démarche lente et nonchalante, laquelle fut vantée par les plus illustres poètes : « Elles avancent à petits pas glissés, en se balançant lentement par un roulement régulier des hanches et de la croupe ».
L’engraissement est confié à une nourrice, elle use d’une écuelle spéciale en bois, (aγalla, plur. iγallen); laquelle munit d’un bec, contraint la future mariée à avaler jusqu’à douze litres de lait par jour : « breuvage sacré, assimilé au féminin et à la générosité de la nature ». Son alimentation quotidienne n’est pas en reste, puisqu’elle se compose aussi de sorgho et de mil. La « panse » ayant été habituée à de grosses quantités de liquide, les filles se voient frappées d’accoutumance. Une fois adultes, leur gavage sera composé de boulettes de viandes et de bouillie de blé.
Cette pratique séculaire n’est pas sans conséquences pour la santé des femmes. Les pathologies liées à cette tradition sont souvent mortelles : troubles digestifs, diabète, problèmes cardio-vasculaires, et hypertension. La vie de ces jeunes femmes se trouvent ainsi en péril. Elles sont victimes de « vieillisse précoce, ou encore meurent en couches« , explique Kadidia Aoudou Sidibé, présidente de l’Association malienne pour le suivi et l’orientation des pratiques traditionnelles (AMSOPT).
Suite aux changements, et aux mutations politiques, et socioculturelles du territoire Sahélo-saharien, le gavage traditionnel (sous ses formes anciennes) tend à disparaître; mais il persiste dans certaines régions, où il continue de sévir tel un atavisme tenace. En Algérie, il est drapé d’un voile de mystère. J’ai cependant pu observer à Adrar, lors des cérémonies de Jaguar (fête dansante) une idolâtrie éloquente, et un goût prononcé pour les femmes grasses. Celles-ci vont jusqu’à avaler des médicaments d’origine non contrôlée, ou destinés aux animaux. Elles aspirent ainsi, à incarner un canon de beauté entretenu depuis des siècles, et ressembler aux femmes dont la « beauté » fut louée par Léon l’Africain en ces termes : « Elles sont charnues, elles ont la croupe rebondie et grasse, les seins à l’avenant ».
Leila Assas
Bibliographie :