Le mythe d’une seule langue originelle et commune, fractionnée, par la suite en « familles linguistiques » a été véhiculé par la parabole biblique de la Tour de Babel. Cette théorie fut soutenue par d’illustres linguistes, comme Merritt Ruhlen ou encore Noam Chomsky.
Ainsi, théoriciens du langage, socio-linguistes et paléo-anthropologues se scindent en deux Écoles de Pensée quant à l’origine supposée « mono-genèse », ou «poly-genèse » des langues.
Les langues en ont fait du chemin depuis. Elles ont sillonné des contrées, ont été imposées, malmenées, ou encore contraintes à l’exode comme c’est le cas pour le korandji, le parler de l’oasis de Tabelbala dans la région de la Saoura.
Exode d’une langue, et émergence d’un dialecte
Située à l’extrême sud –ouest de l’Algérie, à 400 km de Béchar dont elle est rattachée administrativement, l’oasis de Tabelbala fut citée par les explorateurs et les voyageurs, qui la décrivent comme étant prospère et luxuriante. « Tebelbert est une contrée au milieu du désert de Numidie » dit, Al-Hassan ibn Mohammad al-Zayyātī al-Fāsī al-Wazzān (Léon l’Africain). Selon la tradition orale, elle fut fondée par la tribu amazigh des Lamtuna, alliée des Almoravides qui la déserta pour s’établir à Mogador au Maroc. Elle fut ensuite investie par un peuplement métisse berbéro-soudanais * et s’impose comme terre de passage de plusieurs ethnies d’origine diverses : les mandingues, ( victimes de la Traite Négrière suite à l’invasion des tribus nord sahariennes des Royaumes du Mali, Songhai et Bambara), les reguibet, les touareg et chaamba; qui y établirent des rezzou*, et axes chameliers.
Mohamed Tilmatine, auteur d’une étude sociolinguiste sur l’oasis de Tabelbala l’a définie comme suit : « un carrefour de très nombreuses pistes chamelières qui ont desservi depuis une époque lointaine, difficile à préciser, le Drâ et le Tafilalet d’une part, d’autre part le Soudan et Tombouctou ». Il en résulte un brassage sociolinguiste et l’émergence d’un dialecte autotélique propre à l’oasis. Ainsi, le Koranji ou Kawara’n’dzi ou encore tablbali est le dialecte des populations berbéro-soudanaise, de l’oasis de Tabelbala.
Brassage culturel et assimilation phonétique
Le vocable korandji viendrai de kora’n’dzi, qu’on peut traduire par «langue du village ». Il s’agit d’un mot composé songhaï* , relié par un connectif berbère "n" . Cette langue est donc une synthèse d’un substrat dominant songhaï (qui a assimilé un lexique amazih et arabe. Cette complexité se traduit par la toponymie des villages, qui portent deux noms (arabe ou amazigh et songhaï), comme Sidi Zekri (Kora), Qsar Chraia (Ifrenio) Sidi Maklouf (Yami).
Le songhaï étant par essence une langue fragmentée, elle est usitée dans les régions traversées par le fleuve Niger : le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria, et le Bénin ;et dont le brassage avec plusieurs langues, parlers et patois comme le peul, le soninké, le tamasheq, le dogon et la hassaniya a permis l’émergence de plusieurs dialectes. Le korandji est considéré comme le plus septentrionales dialectes songhaï, mais aussi le plus isolé.
Les idées reçues, véhiculées par les oasis voisines qui prétendent que le korandji est une langue de djinns exprime le manque d’ouverture et les césures opérées entre le nord Afrique, et l’Afrique de l’ouest; dont les points de convergences et de rencontres sont pourtant nombreux. Le brassage de langues et dialectes, aussi éloignées phonétiquement que géographiquement et leurs assimilations par une ethnie ou un peuple, comme il est le cas en Algérie, nous offre une mosaïque de parlers qui constitue notre identité polyphonique plurielle, riche de ses métissages culturels.
Leila Assas
*Rezzou : Terre de passage commerciale/razzia, ou militaires, des tribus
*Soudanais : le terme soudanais renvoie ici l’ensemble des populations de Bilad Al Souda, où s’établirent vers le Moyen Age divers royaumes comme « le Royaume de Ghana ». Un territoire flou allant de la Mauritanie à l’actuel Soudan.
*Songhaï : Ancien Empire de l’Afrique de l’Ouest, aujourd’hui groupe ethnique important de la vallée du fleuve du Niger
Bibliographie: