La commémoration cultuelle de Achoura est célébrée le 10 Muharam de l’hégire, dans l’ensemble des pays musulmans. Elle fut instituée par le prophète Mohammed (QSSSL) dès son arrivée à Médine en l’an 622, en référence aux célébrations du Yom Kippour juif, qui rappellent le Salut de Moise et de son peuple, face au Pharaon.
En Afrique du nord et de l'ouest, la célébration de Achoura revêt diverses appellations marquées par de nombreux aspects. Ainsi, dans plusieurs régions Saharienne (Ouargla, le Gourara, Adrar et Ghardaia, ainsi qu'au Sahel dans l’Aïr à (Niger), la fête dédiée à cet événement, se nomme Biyanou. Ce vocable, n’est donc pas commun à l’ensemble des pays musulmans, mais propre à une aire géographique.
Il nous renvoie pourtant, vers une interprétation plus englobante, et qui se trouve ancrée dans l’espace culturelle de l’Afrique du nord. A ce sujet, Yacine Sidi Salah, archéologue, historien de l’antiquité et de la préhistoire évoque une étymologie amazigh «bu-ni » qui désigne, les trois pierres du foyer, représentées au cours du rituel de célébration de Yennayer (nouvel an amazigh). Biyanou, serait donc une autre appellation de Yennayer comme c’est le cas pour les Senhadja de Mosbah du Rif marocain, ainsi que les Ath Ouarain. De fait, « cette fête consacre le changement et la fertilité, alors on refait le foyer creusé à même le sol, on repasse la maison et on change les trois pierres du foyer «inyen» qu’on appelle «bu-ini » (ini étant la pierre du foyer) dans les Aurès, et dans certaines régions du Maroc on dit «biannu et bennayou» qui désigne la nuit du 1er yennayar, » Yacine Sidi Salah parle de « récupération » pour la fête monothéiste de Achoura.
A Ouargla, Biyanou est personnifié par le culte de « Lalla Babiyanou ». Le jour de Achoura, les enfants entament la ronde des foyers, entonnant le chant suivant : « Babiyanou ham waldik abebza » que l’on peut traduire par : « Babiyanou, s’il te plait, je veux goûter » . Les femmes offrent ainsi, des fèves et des pois chiches bouillies, légèrement épicées, pour le plus grand plaisir des petits. De leur côté, les Banga Issemjen (personnes de couleur noir et/ou, autrefois esclaves) s’adonnent pour marquer l’événement, à des parades carnavalesques tel que nous l’explique Slimane Boughaba, président de l’association culturelle ouargli « Zingdah ». Il est à rappeler que le système des castes, est fortement ancré dans l’espace saharien, de ce fait, certaines pratiques ne sont réservées qu’à certaines populations.
Au Gourara, l’offrande des fèves bouillies est aussi pratiquée. L’expression, « Biyanoufik » incite également les maîtresses de foyers à offrir ces légumes secs aux enfants venus frappés aux portes, ainsi qu’aux voisins et aux gens de passages. Dans certains ksours, comme pour celui de Tazeguert (Lahmar), on cuisine la langue du mouton conservée, et séchée depuis l’Aid el Adha. La ziara de Sidi El Cherif de Ksar Massine qui a lieu à cette occasion prés de Timimoun, est l’évènement principal de ce jour de Achoura, qui à l’instar des ziarates dans la région, se trouve bercé par le rythme du baroud, selka (récital de coran).
Biyanou est pour nos voisins de l’Aïr ( Niger) la plus importante fête de l’année. Les réjouissances durent du septième jour qui suit l’aïd el Adha, jusqu’au jour dit de Achoura. Cette fête est symbole de pardon et de communion. Elle se déroule sous le signe de la joie. Chants, danses et sons des tambours ponctuent la commémoration. Son nom, Biyanou, véhicule à lui seul, les survivances des pratiques antéislamiques, intégrées comme beaucoup d’autres, dans le calendrier musulman.
Leila Assas
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