24 Mar
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Le sobriquet est une des facettes de l’humour qui fait partie intégrante des universaux du langage. On le retrouve dans toutes les sociétés. En un sens, il obéit à des codes et logiques internes puisqu’il renvoie à une lecture autotélique, à la fois psychologique, sociolinguistique et culturelle.

Le sobriquet algérien ne déroge pas à cette règle, il est une jonction du risible au génie populaire, affirmé par le substrat identitaire.


Du génie populaire et substrat identitaire 

Les sobriquets algériens foisonnent. Subtiles, imagés ou encore anthroponymiques, ils nous renseignent sur l’interaction entre les individus, leurs représentations et leurs bagages culturels. Ils soulignent en ce sens l’évolution des mœurs dans un espace donné : celui d’une région, d’une ethnie, d’une tranche d’âge ou encore d’une classe sociale. « Il ressort également qu’au moment de sa création, le sobriquet algérien est sémantiquement motivé. Les plus fréquents sont la manipulation du langage dans un sens figuré, par une relation métonymique, une intention humoristique ou une relation métaphorique (par comparaison analogique) », explique la professeure Ouerdia Yermeche, spécialiste en sciences du langage.

Le sobriquet comme indice anthroponymique est d’usage depuis plusieurs siècles en Algérie. Ainsi, durant la période médiévale, il fait office de patronyme à la manière d’une affiliation par rapport à une origine, comme c’est le cas pour Abû al-Hasan al-M’sili, Mrwan al-Bûni ou encore Abû al-Qasim al-Biskri. Ces érudits et hommes de savoir se faisaient appeler ainsi dans leurs nouveaux foyers d’accueil. L’usage du surnom évoque en ce sens un contexte de mobilité. Phénomène encore en vigueur de nos jours, où l’on devient aux yeux de l’hôte « el djelfaoui », « el wahrani », etc.

Par ailleurs, qu’il soit de caractère héréditaire, connotatif ou stéréotypé, il est parfois basé sur une intention péjorative. Il peut également souligner une condition sociale, comme c’est le cas pour « Hartani », autrefois esclave dans les espaces oasiens et sahariens, devenu de nos jours fils d’affranchi. Affublé de ce sobriquet, il est systématiquement renvoyé à une forme de servitude maintenue psychologiquement. Autre exemple, « Baggar », qu’on peut traduire par éleveur de bovins, désigne aujourd’hui le nouveau riche. Un protagoniste risible, dépourvu de codes sociaux citadins. Il est constamment ramené à sa condition, ce qui traduit un dédain des citadins envers l’exode rural, un phénomène prépondérant durant la décennie noire. Un indice non négligeable dans l’étude des sociétés, l’humour, et par ricochet le sobriquet, qui selon Karima Aït Dahmane est un « objet hautement culturel », remplit la fonction de précision et de dénomination.


Le sobriquet, un raccourci sémantique

Le sobriquet apparaît souvent comme élément de dénomination et de mise en exergue de caractéristiques physiques peu répandues dans un groupe social donné. Une sorte de raccourci sémantique pour les minorités visibles. Ironique ou valorisant, il nous renseigne sur la personne qui le porte. « El Rougi » (le rouquin), « Boulahya » (barbu), « Fartass » (chauve) sont à aborder sous un angle de marqueur social et de notoriété. Celui ou celle qui le porte le tolère à différents degrés.

Lorsqu’il verse dans une connotation péjorative ou raciste, seul le contrat social entre individus énonce le ton et l’intention donnés à un surnom. À titre d’exemple, les surnoms de précision raciale, liés à la couleur de peau ou encore au culte comme « Nigrou » (noir) et « Yhoudi » (juif), dépassent la simple attribution par nature raciale, et peuvent être donnés à des individus qui ne sont pas forcément noirs ou juifs. Plus précisément, qui n’a pas entendu dans son entourage une personne que l’on appelle « la juive » (yhoudiya), en référence à son caractère trop économe ?

« Le sobriquet algérien est le reflet de phénomènes socioculturels et historiques (ponctuels ou plus durables) du terroir », explique Ouerdia Yermeche, auteure d’une thèse sur le sobriquet algérien comme pratique langagière et sociale.

Les sobriquets sont révélateurs des aspirations d’une époque et de l’échelle des valeurs. Autrefois, les noms de métiers s’annexaient systématiquement aux patronymes. Un Amine el Oustad (professeur) et Si Mustapha el Hakim (médecin) étaient autant de signes de respect que de marqueurs sociaux. De nos jours, le métier cède la place à une nouvelle forme de représentation basée sur l’argent : Moh Visa, Reda Audi. Nous sommes ce que nous possédons, et le sobriquet est là pour nous le rappeler.

En perpétuelle évolution, il permet également de pérenniser une tradition orale ancestrale, car nous avons tous dans notre entourage un Djeha trivial, une belle Lounja, une méchante Ghoula ou une vile Settouta. Ces personnages légendaires véhiculent une représentation physique ou psychologique de celui ou celle qui porte le sobriquet. Il dresse de manière subtile et imagée un comparatif entre le personnage et l’avatar et nous renseigne sur la sociologie de la société algérienne.

Leila Assas

 

Bibliographie : 

  1. Ouerdia Yermeche, « Le sobriquet algérien : une pratique langagière et sociale  », Insaniyat / إنسانيات, 17-18 | 2002, 97-110. 
  2. BENSERIDA Hafida, L’image de l’Algérien et de l’algérianité dans la caricature de la presse francophone algérienne. Le cas du journal : « Liberté » et « El Watan,  Mémoire de Master 2 « Langue, discours et culture en Méditerranée » Spécialité sciences du langage, 2015  
  3. Walid Bouchakour,. Qu’est-ce qui fait rire les Algériens ? Histoire d’humour.  Focus Le 26.11.16 
  4. Mes remerciements  vont à Salim Zerouki pour l’illustration.  


Initialement publié sur www.babzman.com

 

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